Interview

Éditions Exemplaire

Publié le 30 octobre 2023

On ne se le cache pas : on a découvert les éditions Exemplaire il y a quelques temps, et on a adoré le type de fonctionnement. Du coup de un on suit avec attention et de deux on a tendance à (sur)partager ce qu’ils font.

Tout d’abord, commençons par le commencement : qui est Exemplaire ? Quel est le projet ? Quelle est son histoire ? Je veux toute l’histoire depuis le Ulule !

Exemplaire est né du constat que les auteurs de BD sont trop peu payés dans le milieu classique de l’édition en France. Plus précisément, ils perçoivent un pourcentage du prix du livre très bas, se situant entre 8 et 12% selon l’éditeur. Alors que sans auteur, pas de livre ! Même s’ils sont accompagnés d’un graphiste, d’un maquettiste, d’une personne pour la correction, qu’ils bénéficient d’un suivi éditorial… c’est quand même eux qui créent le livre. Lisa Mandel s’était lancée dans l’auto-édition avec Une année exemplaire, qui avait remporté un beau succès et avait même été nommée dans la sélection officielle du festival d’Angoulême. Suite à ça, elle a imaginé avec Antoine Vittecoq un système où l’auteur touche un pourcentage se situant autour de 30% en moyenne du prix de vente (si on additionne les ventes en lignes et celles en librairie, où le montant des droits diffère) : en gros chacun est payé proportionnellement à son implication dans la création de l'œuvre. Depuis le Ulule, beaucoup d’auteurs nous ont rejoints : 36 albums sont parus chez Exemplaire, et sept sont en cours de production. En tout, ça fait 43 crowdfundings réussis.

Exemplaire c’est des projets participatifs donc, sur le site directement. Comment s’est faite la transition d’une plateforme connue vers l’auto-édition la plus “dure” ? Que ce soit au niveau technique, marketing, social…

Évidemment il a fallu concevoir de A à Z une plateforme de financement participatif. Là-dessus, tout le crédit revient à Antoine Vittecoq, qui est développeur. Côté public, ça a été beaucoup plus simple : les auteurs qui s’étaient associés au projet avaient tous une solide communauté, qui les ont suivis sur Exemplaire. Encore aujourd’hui, c’est la communauté de l’auteur plus que celle d’Exemplaire qui permet la réussite du crowdfunding.
Après ce n’est pas de l’auto-édition pure puisque les projets sont sélectionnés par un comité de lecture. Ensuite, l’auteur bénéficie d’un véritable suivi éditorial, comme chez un éditeur classique : il n’est donc absolument pas livré à lui-même.

Éditions Exemplaire / Lisa Mendel
Éditions Exemplaire / Lisa Mendel

Pourquoi avoir opté pour le financement participatif ?

Pour plusieurs raisons : premièrement, le crowdfunding permet d’avoir une idée de l’engouement du public, et d’imprimer un nombre d’exemplaires correspondant. On n’imprimera pas autant d'exemplaires pour un crowdfunding qui aura attiré 2000 contributeurs, que pour un projet qui en aura réuni 500. Ainsi, on évite la surproduction. On préfère ré-imprimer, plutôt que d’imprimer tout de suite à 10 000 exemplaires et d’en envoyer les trois quarts au pilon (d’ailleurs on n’envoie aucun album au pilon). Aussi, l’auteur récupère tout de suite une somme qui va lui permettre de se poser vraiment sur son livre. Certains peuvent même s’y mettre à plein temps, grâce à la somme réunie lors du crowdfunding. Et bien sûr, ils toucheront à nouveau de l’argent par la suite grâce aux ventes sur le site et en librairies. Enfin le financement participatif permet à l’éditeur de ne pas prendre de risque financier, il peut alors reverser une plus grande part des revenus générés par les ventes à l’auteur, car il a moins besoin de se constituer une réserve, indispensable en cas de mévente, pour un éditeur traditionnel.

Actuellement, quelles sont les difficultés pour un éditeur ?

L’augmentation du prix du papier a été un coup dur ! C’est lié directement à la crise du COVID, toutes les matières premières sont devenues plus chères mais c’est particulièrement vrai pour le papier. Ça devient beaucoup plus difficile de proposer de très beaux ouvrages, qui correspondent complètement à la vision de l’auteur. Parce que c’est aussi le but : faire en sorte qu’ils soient plus impliqués dans le processus éditorial, pour proposer un livre qui cadre avec ce qu’ils imaginent. La versatilité des réseaux sociaux, dans notre cas, peut être problématique, car tout notre projet repose sur la visibilité des auteurs sur le net, et quand une plateforme telle qu’Instagram se met à inonder son feed de vidéos et qu’elle invisibilise les auteurs en place, nous sommes directement impactés.

Comment sélectionnez vous les projets ?

C’est important pour nous qu’il y ait une cohérence éditoriale, tant au niveau du fond que de la forme. Cela ne veut pas dire qu’il faut une uniformité, mais il faut que les lecteurs puissent se dire “bien sûr, ça c’est chez Exemplaire”. Évidemment, la question de la communauté de l’auteur sur les réseaux sociaux se pose. Quelqu’un qui n’a pas développé son audience sur les réseaux sociaux peut difficilement prétendre à être publié chez nous, car comme je l’ai dit plus tôt, c’est plus leur communauté que la nôtre qui fera vivre le crowdfunding. Mais on peut quand même avoir des coups de cœur, même si la communauté de l’artiste est insuffisante. Dans ce cas, on peut proposer un coaching réseaux sociaux sur plusieurs mois, comme on l’a fait par exemple avec Dara Nabati. Un auteur plus installé peut aussi parrainer un auteur moins connu, comme ça a été le cas avec Maëlle Réat, parrainée par Boulet.

Quels sont vos projets pour les prochains mois ?

On prévoit une nouvelle collection ainsi qu’une nouvelle branche. Mais je ne peux pas en dire plus !

Nous avons lu et chroniqué “Parent des années 80” de Cookie Kalkair. Une anecdote à partager ?

Pendant leur crowdfunding, les auteurs partagent des extraits de leur album sur les réseaux sociaux pour faire la promo du projet. Cookie a partagé le début d’un strip où une famille reçoit son premier micro-ondes. Il explique que le père s’en sert pour un usage un peu particulier… et c’est tout, pour savoir la suite il faut lire l’album ! Ça avait rendu fous ses abonnés qui crevaient d’envie de savoir quel était cet usage particulier, ce post a été bombardé de messages. Moi j’ai lu l’album, donc je sais ! Et vous ?
NDLR : Nous l'avons effectivement lu et nous sachons !

S’il ne fallait choisir qu’un seul et unique album lequel serait-il ?

Ils sont tous super chouettes ! On est vraiment fiers de pouvoir publier des auteurs bien installés comme Boulet ou Anouk Ricard, mais aussi des nouveaux comme Salomé Lahoche ou Tamos. S’il ne fallait en citer qu’un, peut-être Animan d’Anouk Ricard, qui a été prix spécial du jury au festival d’Angoulême l’an dernier !